Aventura - 1

Tropique



Perdu dans une île sous les tropiques, le jeune et fougueux Sol cherche Aventura. Dans les rues d'Icon de vieja, il demande à tout le monde, avez-vous trouvé Aventura, à quoi elle ressemble, où puis-je la trouver. Mais tous les regards s'envolent, personne ne comprend, tous ignore cet homme étranger aux mots inconnus. 



Il est midi, le soleil installe son règne sur la place du village. Sol s'attable à la buvette et commande une escalope panée, un œuf plat, des frites et une bière. On entend les enfants jouer, les habitants parler fort et s'amuser. Sol lis et respire. Il y a dans cet endroit une quiétude ineffable. Il voyage seul depuis quelques jours, allant çà et là avec le vague sentiment d'être en quête de quelque chose, une étincelle. Dans sa main, un livre. Un livre avec des mots, un livre écrit par un auteur dingue, frénétique. Ses mots imprègnent son esprit, ses images peuplent son cerveau. Ce sont des lettres, écris à des amis. Ça parle de marijuana et de travail au chemin de fer. Sol pense à son pays et au combat politique qu'il s'y joue entre un gouvernement néolibéral et les fiers cheminots défendant un Etat social et le service public. L'auteur fou américain s'occupait des aiguillages, alors que son pouce était plâtré. Il travaille sans relâche,  pour nourrir ses deux femmes et ses enfants. Sol pense à l'herbe et se dit que ça ne lui réussit pas. Ça l'angoisse et ses pensées valsent, & sa paranoïa sort de contrôle. 



C'était un bon repas bon marché. Téléphone message de Elisa, as-tu bien dormi ici il fait froid, il neige à Paris & puis message de Luna, bien sûr que j'aimerais être avec toi sur ton île, Sol. Sol enclenche le mode avion. Faut y aller là! Chiottes publiques, gratuites. En voilà un brave pays! Sol tangue un peu, une jambe l'une devant l'autre, il dévale la pente comme un train fou, quand le soleil inonde ses yeux fatigués et laisse apparaître entre deux maisons roses, là en contre-bas, un énigmatique dragonnier millénaire. Maitre des lieux l'arbre semble flamber de ses mille branches, comme un feu ardent, une éruption sourde, quelque chose que les hommes ne peuvent voir, mais sur tout aux alentours ressent et sait. Foudroyé, Sol descend vers la station d'autobus. Un billet pour Santiago. Le chauffeur roule comme un forcené sur la route escarpé. On voit toujours la mer, bleu comme les yeux de la mère de Sol. Rien n'est plat et pourtant chaque espace est utilisé. Quand il n'y a pas de roche, ou d'habitation, il y a des bananiers. Des océans entier de bananier, à perte de vue, habillent tout le relief, et semblent surveiller par les hauts palmiers surplombant tout le peuple de palmes, entassé sous le joug tyrannique de leur cousin. 



Le bus fou fait des embardées sauvages dans les virages. La tête de Sol est ballottée de droite à gauche. Toujours plus à fond, il ressent mieux le relief de l'île, dans cette montée sans peur vers les hauteurs du volcan. Le chauffeur ne freine qu'aux arrêts, parfois au milieu de nulle-part, à coté de deux trois maisons perdues dans les bananes et la vue de la mer agitée aujourd'hui. Petit restaurant de montagne, menu à 8 euros. Deux jeunes filles aux cheveux de nuit descendent du bus. Petites fées vertigineuses, elles sortent leur clé et ouvrent le restaurant confidentiel. 



Le bus repart dans son allure démente, sur la télé d'information, toujours la même pub défile, ne laissant apparaitre que rarement les arrêts. Il faut alors plutôt se concentrer sur la route pour tenter de savoir si l'on arrive à destination. On voit pas vraiment les panneaux des villes, alors c'est plus simple de tenir compte de l'espacement des lieux d'habitations entre eux. Après trois fois cinq minutes, Sol se dit qu'il doit arriver à Santiago. Vérification rapide sur le téléphone, c'bon le petit point bleu s'en rapproche ouais. Bon faut aller appuyer sur le bouton rouge et descendre fissa au prochain arrêt.



Santiago del teide, quatorze heure trente. Sol a loupé le premier arrêt, il échoue au deuxième. Au-dessus le Teide est recouvert d'un voile de neige. Quelques nuages adoucissent la température, la rue principale pullulent de touristes hagards. Des bars, partout. Même pas de boutique à bouffe à bibine. Que des bars. Le sac sur le dos, Sol remonte la rue. Il a faim, soif, et cherche quoi faire. Aller à Santiago, c'était juste une idée comme ça. En face d'un bar, de l'autre côté de la route, un chemin de terre et de pierre. Un panneau de randonnée. Trois heures de marche pour gagner Puerto Santiago, le soleil et la mer, l'oxygène et un but brillant à atteindre. Mais avant, vaut mieux s'équiper, impossible de prévoir par où part ce chemin sinueux et mystérieux. Sol tout excité retourne en ville et cherche une épicerie. Il y a bien la boutique de la station-service, mais il y aura sûrement mieux. Des bars, toujours des bars, il fait soif dans cette ville. 



Ah! Voilà l’église, après une épicerie fermée, milieu d’après-midi en Espagne oblige. Un groupe de jeune désœuvré écoute de la musique sur la place du village. Dans le temple, la décoration est simple, deux pèlerins allument des bougies électriques. Sol pense à Elisa, perdue dans les tourments de Paris, Sol pense à tous ceux qu’il aime, puis s’en va. 



Incrusté dans les murs d’une maison, un distributeur automatique vend de l’eau et des biscuits. Equipé, Sol se grille un cigarillo pour la forme. Un rayon de soleil pointe, il est temps de prendre la route. 



Le chemin descend. Il descend dans un océan de cactus, il descend inexorablement parsemé de petits cailloux taquins. Il faut sans cesse trouver où poser ses pieds, foutant Sol dans une sorte de transe, oubliant qui il est, oubliant où il va. Le soleil grossis, de plus en plus présent dans le ciel de Sol. Tout petit sous une boule enflammée, sa conscience change. Perdu dans l’espace-temps, il ressent à la fois son extrême misère et l’étendu de toute sa liberté. Mais que faire de toute cette vie qu’on lui a donné. Cette vice d’errance dans ce vaste monde. Les pierres se font de plus en plus grosses et coupantes, & Sol sautille de plus en plus vite comme un animal agile. 



Le vent souffle et maintenant les pierres ont des yeux rivés sur lui, tantôt bienveillant tantôt cruelles. Tout se met à glisser, dans un vaste piège et débouche sur une vallée d’arbustes étranges bourdonnant. Dedans des nuées d’abeilles butinent en bande, dans un énorme grondement inquiétant. A la vue de Sol, il n’y a plus que toutes ces branches, l’enroulant, l’encerclant, dans une vaste canopée plus forte que les flèches du soleil. Seul, en plein cauchemar doit contenir sa peur des abeilles toujours plus grandes, toujours plus humaines. Elles tiennent des lianes en forme de chaines cloutés. Les agitant comme des fronts, elles semblent dire Sol tu es chez nous sur nos terres, que fais-tu ici, petit être oisif, loin de tiens, que cherches-tu, quand le monde des hommes a si besoin de toi. Mais besoin de moi pour quoi, je ne veux plus jouer le jeu de la misère, je ne veux plus détruire notre maison. Alors les abeilles prennent le corps des pierres coupantes, et la tête des grands patrons. Travaille pour nous petit homme et nous te protégerons. Mais me protéger de quoi! Dès mon enfance, vous me séparez des miens. Vous m’éloignez des vrais sages, vous nous foutez sous le commandement de faux chefs autoritaires, sans pensée sans vision. 



Les jambes lourdes, Sol descend toujours dans cette jungle hostile. Attaqué par les abeilles vengeresses, Sol se raccroche à la vie & à ce qui le fait vibrer. Sol cherche Aventura. Aventura c'est toute la fougue de la vie trépidante, le charme du monde révélé, c'est peut-être une société où les hommes sont libres, un coin de paradis, une musique grandiose, une aventure extraordinaire. Aventura c'est peut-être une femme, qu'il faut trouver qu'il faut faire naitre. Aventura c'est la promesse d'une vie où la passion ne s'arrête jamais. Aventura c'est quand tu fais l'amour pendant des heures dans ton adolescence, c'est quand tu montes une cote à fond en vélo et que tu comprends ton pote essoufflé. C'est quand les lacrymo tombent à tes pieds et que toi tu balances une pierre sur les flics. C'est quand tu fais du stop, seul sur une route qui s'en va droit dans la nuit. C'est quand tu sonnes chez les gens pour demander à manger. C'est quand tu ris aux éclats avec un inconnu devant un mur de son technoïde. Aventura si on la trouve pas il va falloir la construire. C'est une cité sans frontière qui est là partout où chacun de ses citoyens respirent. Dans Aventura il y a les folies de chacun, et la raison de tous.  Aventura c'est quand on est dans le même délire, et pourtant loin les uns des autres. C'est quand on partage le même point de vue, le même horizon. Aventura c'est l'étincelle dans la savane, c'est tout ça que recherche Sol.  



Les arbustes étranges se font de plus en plus rares. D'un bleu sombre leur couleur varie à un jaune terre, puis disparaissent avec toutes les abeilles. Toujours en marche sur l'escalator de sa vie, Sol change d'étage. Un silence saignant lui saute aux tympans, le paysage montagne devient désert difforme. L'air flotte flou comme dans un nuage de chaleur. Les pierres explosent et éclatent, dans une grande mare en trois dimension en pleine ébullition. Petit poisson Sol nage en plein délire. Et toujours ce chemin qui descend encore plus bas que terre. Devant lui des tortues terrestres à sac à dos avancent à la vitesse de la poussière. Il faut les doubler sans trop se faire remarquer. Elles ne parlent pas la langue. Elles soufflent tout leur poumon. Remous dans les caillous volant. Il s'agit de passer rapide, sinon, les tortues elles vont dévorer tous les cactus. & les cactus, & les figues de barbarie s'entortillent et se déchirent, elles grandissent, luxuriantes. C'est la jungle. Mais où sont les tortues. Les cactus brandissent un unique poing, levé vers le soleil. Putain putain vaut mieux se faire petit, oui partons, petit mais parti, vite partons petit. Les cactus ont des oreilles. Pire, ils capturent les pensées avec leur pic, comme les employés municipaux avec les ordures. 



Heureusement aujourd'hui c'est jour de grève. Les éboueurs sortent de l'ombre. Le menton levé, le visage fier, les éclaireurs du propre chantent ensemble leur solidarité avec tous les hommes opprimés. Tous réunis dans le chaos à la croisée des chemins, les veilleurs ont installé leur piquet de grève. Au bout de la lance de la révolte, il y a des branches en bourgeon, des bourgeons en fleur. Un brave homme tremblant et chétif s'approche de Sol, stoppé là, au milieu du chemin, surpris. Viens avec nous camarade ! Ici on chante on marche, on mange on boit, on lutte on fait la fête. Avec nous il y a déjà les cheminots, les ouvriers, les infirmiers, les électriciens, les étudiants...! Viens avec nous toi le voyageur, toi l'homme libre qui se balade dans le monde. Reste avec nous et tu iras porter notre parole partout où les hommes ont besoin de notre force et de notre liberté. 



La foule joue du tambour, ça sent le fumigène. Sol entre dans la marée humaine. Une jeune fille brandit une pancarte. Partage. Un jeune homme arrache un pavé. Un syndicaliste à moustache titube. Un vieux loup d'mer vend un journal à la criée. Les visages sont fatigués, déformés, meurtris par le temps et les difficultés. Et la marche reprend, au son des slogans et des sonos. Sol se fraye un chemin jusqu'au cortège de tête & son cœur bat bien plus vite. On entend les sirènes des flics. Les fringues sont plus pratiques et les regards déterminés. Les nez ont des masques, les poings sont serrés. 



Dans la fumée grise, des yeux amoureux fixent Sol. Comme suivi par des feux antibrouillards, il navigue à vue dans la tumulte. On ne voit plus vraiment grand-chose. Ici c'est la misère en révolte, avec un soleil d'espérance dans les coeurs. On lutte exactement contre ce qui nous opprime, le pouvoir de l'argent et sa force aveugle. Les yeux d'Elisa profonds comme la nuit des sauvages accrochent ceux de Sol & sa main l'appelle à se joindre à la lutte. Leurs doigts se touchent lorsqu'ils se baissent pour s'armer de la même pierre. Envoyons ça dans les vitres de cette fichue banque. La nuée de colombe picore l'ennemi qui craque et s'ouvre. On balance des dossiers par les fenêtres quand est chanté le rituel magique. Anti. Anticapitaliste! Puis les oiseaux s'envolent bien plus libres. Pourtant les corbeaux sont déjà là. Prêt à en découdre. Au prochain coin de rue. Prêt à tuer une vie juste pour défendre de la matière inerte. Les bleus agitent leur petite matraque et lancent des patates chaudes. Ça commence à piquer dans les gorges les narines mais on tient le coup. Il y a toujours de la musique qui sort de la sono du camarade & puis on fait front commun, plus ivre que jamais. Tout le monde déteste la police. Elisa prend Sol par la main et l'éloigne du canon à eau, derrière un buisson, où la rue et les pavés deviennent peu à peu de l'herbe puis de la terre & un tourbillon de couleur nature jusqu'à laisser pousser sauvage des arbres et des fougères brouter des cerfs & s'ériger dans la boue un mur de son technoïde.



Les deux amoureux marchent main dans la main enfin réunis dans un paysage éternel et dingue ressemblant tellement à partout dans le vide de France. Elisa je crois que nous sommes en train de bâtir notre Aventura à nous & que bientôt nous emporterons tous les humains dans notre belle vague d’amour et de progrès. Au commencement il y a le mystère qui nous attire l’un l’autre. Cette force n’a pas de mot et n’en aura jamais mais c’est ce qui nous fait tous vivre sur cette planète. La musique technoïde des champs se fait de plus en plus entendre. Des jeunes à capuches avec des bottes se promènent dans tous les sens. Sur les côtés il y a des voitures garées. Un homme à chapeau arrête tout le monde. C’est la donna les enfants. L’essence pour la sono tombe pas du ciel. Allez une petite pièce pour les orgas ! Bruit de pièce dans le verre plastique, sourire étincelant du bonhomme.




1er Mai 2018



1er mai deux mille dix huit place de la Bastille le génie de la liberté est encore en travaux. Sur son coté Nord des musiciens jouent sous une pancarte Bal Zadiste. Il est treize heure trente à Paris. Le monde entier regarde ce que le peuple français va faire de sa révolte éternelle contre les opprimeurs et la force de l'argent. Ca fourmille un peu de partout dans tous les sens quand tu as les sonos de Sud qui crache de la musique rock révolutionnaire et que la CGT au loin gonfle ses gros ballons. Au delà du cercle on n'entend pas vraiment le bal zadiste tant chaque groupe envoie sa propre musique. LA CNT passe le poing au ciel.


Au bout de l'arsenal la jeunesse s'organise. Rendre coup pour coup. Sous les arbres elle farfouille dans son sac pour en sortir son équipement contre l'oppression. Masque à gaz ou foulard, veste noire, casque, et chaussure de course. Une jeunesse déter se réunie dans une vague noire de colère. Ils sont tous silencieux, tendu, concentré, patient. Une fille distribue des tous petits tracts, blancs avec quelques mots dessus: des noms d'avocats sûrs en cas de gardes à vues. Ici il se passe quelque chose quand tout autour se déroule la farce habituelle de la manifestation à la papa depuis cinquante ans.
Le point fixe Luttes ouvrières joue du micro pour rappeler l'ordre du jour. Journée internationale de solidarité des tra va illeurs. Une fourgonette de flic entre dans la foule. Des vieux anars l'encerclent. Vous avez rien à foutre ici. Cassez-vous les poulets. La foule lance des huées agressives. Un type essaye de jouer le médiateur. Quand un jeune encapuché enserre et casse le rétroviseur droit. Les bleus arrivent finalement à parti & Sol continue sa vadrouille. C'est de la provoc putain.


Plus loin au début du pont le mouvement des sans-papiers joue en musique sa colère. Instruments du monde et joie de vivre. On entend déjà plus Luttes ouvrières et tout le cirque derrière de la cgt mais. Il y a devant tout ça sur le pont d'Austerlitz une masse noire silencieuse. Peut-etre trois mille personnes sont là. Tout en noir ne laissant voir au monde que leurs yeux sombres comme la plus déterminée des révoltes. Un homme discute avec un jeune cagoulé. Que faites-vous c'est la guerre. La guerre c'est l'etat capitaliste qui lz fait chaque jour aux pauvres gens. Ecoutez monsieur la manif à la cgt ça va. Ca fait trente ans qu'ils lèvent le poing et rien n'a encore changé. Nous on va leur montrer qu'on se laisse pas faire. Qu'on est une jeunesse ingouvernable. Bien sûr ca va pleurer pour deux poubelles et une voiture brulée. Les flics vont débarquer comme des mouches à merde sur la première vitre brisée. Quand ça vaut de l'argent là ils sont là. Quand c'est vivant il y a plus personne. Très bien jeune homme après tout mai deux mille dix huit ça sera peut-être vous.


Il est quinze heure. La manif est toujours au point de départ. La vague noire commence à faire du bruit & fait peter des fumis bleu blanc rouge au dessus du pont. Nous pouvons enfin avancer. Sur la rive gauche les crs nous attendent au loin sur notre droite. Le parcours fonce à gauche direction place d'italie. Mais le bloc veut montrer ses dents. Un tag sors de la meute et mord le maitre. A l'avant du bloc ils ont une seule et unique banderole. Marx attack risque de trouble à l'ordre public. A bas la hess. le black bloc colore nos vies. Premier de cordée premier guillotiné. Ici les photographes ne sont pas les bienvenues. Le message est pour les flics et l'ordre du monde. La vague avance des pavés dans les mains de certain. A l'avant un gars à une sono et balance du punk revolutionnaire. D'autres font péter des feux d'artifices dans le ciel. La colère est festive aujourd'hui. On va leur en faire voir de toutes les couleurs. Anti anti capitaliste. Et la rue elle est à qui. Elle est à nous. Destruction d'une affiche publicitaire libération des cerveaux. Sol trouve dans la foule un pote à lui. Hey Nico je savais bien que je te verrai aujourd'hui. Hey mais regarde le mc do. Ouh il va prendre cher. Les bleus sont au loin dans la rue buffon & assiste impuissant à l'assaut. Les vitres sont pulvérisés on entre dedans on casse tout. Il y a un départ de feu que seules les raisons de la colère comprendront. Au dernier étage de l'immeuble une famille s'agite un peu aux fenetres. Nico dit à Sol que bon le feu c'est pas très malin. On essaye un peu de l'eteindre mais c'est plus simple de laisser place aux pompiers. Devant ça commence à cogner les flics sont grave véneires. Un camion de chantier brule près de la gare. Toujours des feux d'artifices. La manif n'avance plus elle commence même à reculer. Premier tir de lacrymo. Nico & Sol se perde dans la foule dispersée.


Le bloc fait toujours front mais les moins déters ou équipés reculent vers le mc do. La foule devient vraiment compacte et l'angoisse monte. Derrière un kiosque guéri de sa maladie publicitaire il y a une sono techno hardcore. Un petit bisou made in tekos pour donner de la percussion à la lutte. On recule vraiment sévère. La foule comprimée s'entasse d'un coté contre les grilles du jardin des plantes. Ça escalade les pics dangereux et ça crie. Tous au pont on recule les gaz commencent à asphixier certain allez allez. Et la rue elle est à qui elle est à nous. Le noeud fini par se dénouer et Sol retrouve le pont et sur le pont le putain de servce d'ordre collabo de la cgt. Les gros bas laissent passer au compte goutte. Ces traitres abandonnent la jeunesse à la violence policière dans cette fichue nasse d'austerlitz. Ils sont deux ans à etre fait prisonnier.


Pourtant un bon millier a reussi à passer rive droite alors qu'au loin on observe les affrontements rive gauche. De la fumée des cris et des jeunes qui courent sur les quais. Un cordon de crs est huée rive droite. Le millier de la vague noire érige une barricade sur le boulevard de la bastille. Avec des grilles et du matos de chantier. Quelque chose brule au milieu. Derrière le son rechno est toujours là. Des vieux sourient et dancent un peu avec cette jeunesse revoltée si étrange. Sol danse aussi en ne lachant pas des yeux les agissements des bleus. Attention ils arrivent par derrière. Lacrymo à gogo quand la vague bondie contre l'agression. Sol s'éloigne un peu et perd le fil. Le bloc coure vraiment très vite et se bat vaillament puis disparait. Le rendez-vous est donné à dix heure au quartier latin place de la contrescarpe pour une soirée des barricades.


Sol saute du métro à Place Monge. Dehors il y a une brocante mais aussi une clameur. Une joyeuse troupe de jeune déborde du quartier latin. Ils sont bien trois cent étudiants et black bloc. Et la rue elle est à qui. Ils cavalent sur la route bloquant la circulation. Sol attrape la horde sauvage au vol et demande. Vous allez vers où comme ça. Je sais pas mais on va foutre le zbeul. On descend la rue monge dans un élan joyeux de rires de slogans et de paroles. Une dame demande c'est une manif pour quoi. Pour un monde meilleure madame. Et la troupe s'arrete à censier où on se demande. Bon on va où là. Tous à Paris trois. Ca ne prend pas. Ne restons pas là ils vont arriver et nous nasser. On décide de retourner dans la rue mouffetard. Soudain plus haut sur la droite un escadron de flic surgit. On sent leur colère absurde face à une bande de gamin taquin. La jeunesse s'envole vers le bas mouffetard. Avec une trentaine de bleus moches au cul. Sol perd le fil et laisse passer la flicaille.

CHLORIS & FLORIS





I.

The Twist - Chubby Checker

Un matin de givre, très tard dans la nuit, alors que les oiseaux gazouillaient dans les arbres fleuris, une jeune femme en robe rouge tendait à la même teinte vermeille que son tissu léger. Elle toussait, tonnant dans toute l’avenue, d’une telle véhémence, qu’elle arrachait les volets, les réverbères et les endormis; d’une telle violence, qu’elle chassait la lune, les étoiles, et l’asphalte. A chaque convulsion, sa chevelure s’ébattait, s’ébouriffait ; elle twistait mélancoliquement, dansant pour s’épuiser, et, toujours en avançant comme une trainée de poudre enflammée, elle vociférait sa douceur, d’un cri aigu et assourdissant. Alors, l’on entendait, jusqu’aux lits moelleux, la démence de l’indigence, l’extrême douleur de l’esprit disloqué, brisé dans son harmonie. Ses yeux rougissaient, son corps bouillonnait, vite, elle s’entrainait vers une sombre cabane, alors que ses doigts se crispaient de colère.
Dents serrées, elle tambourina la porte cotonnée de l’édifice, frappant, s’acharnant sur la tête-sérieuse sculptée dans le coton. Ses petites mains, toutes fines, éclaboussaient sur la porte, en une petite mousse violette, à l’arôme framboisé. Cela faisait des bulles, des furoncles immondes sur la porte, souillée par le nectar sucré. Au dessus, une marquise exhibait sa jupe en bois, et sempiternellement, guettait le ciel, redoutant une pluie d’étincelle. Elle était de celles dont le jupon n’est jamais retroussé, cela se voyait à sa face terne, et pourtant, ils étaient peu à n’avoir vu ses ardents dessous. Et sous la jupe de la marquise, la jeune femme aperçut la sonnette, toute en miel et en chaleur, alors elle y mit le doigt, et dans un petit cri, la marquise sonna. Promptement, une fente se creusa dans le coton, et demanda le motif de la venue. Excédée, la jeune enfiévrée s’écria : « Vil médecin, sort de ton taudis, que l’on s’ébat dans le sang ! »
Et dans un cliquetis strident, le verrou s’ouvra, le coton s’envola.
« Venez ternir en salle d’attente, la plante artificielle est impatiente de vous prêter conversation ! »

II.

Un vieil homme à l’œil en noix apparut, et, malgré la pénombre épaisse, l’on distinguait son chapeau noir, et sa grotesque moustache grise. Sans un mot supplémentaire, il indiqua la salle – là, derrière le rideau de ronces fleuries – puis s’en alla, en s’évaporant.
Une fois couverte d’épine, la jeune fille, à la robe éparsement déchirée, s’assit en douleur, sur une bulle de savon. Apeurée, l’angoisse d’éclater, à ce contact hérissé, crispait son visage meurtri. Mais ce fut bref, tant la salle l’étonna. Celle-ci semblait n’être emmurée, ainsi la vue se perdait dans d’immenses champs d’absinthes, cerclant la clairière-d’attente. Il y faisait une douceur d’été, et les oiseaux chantonnaient, c’en était à s’allonger à terre, sur le tapis de pois cassé.
Face à elle, siégeant une chaise, une plante se parfumait à l’alcool de cactus. Dans une feuille, elle tenait un sein, qui vaporisait un épicé parfum. Absorbée, elle zieutait les environs sans voir, habituée au paysage statique, mais soudainement, il lui sembla que des atomes eussent été déplacés par une quelque-conque nouveauté. Et enfin, de plante à jeune fille, elles se jetèrent une œillade, ayant chacune un panier d’œil de coton, sous leur siège boisé. Touchée à la tige, la plante fut contrainte d’attiser sa voix, et de lui adresser la parole.
-Vous avez l’esprit confus, obscurément trouble, venta la plante.
- Il y a dans vos yeux, une magie que je n’explique pas, répliqua la jeune fille. Qu’êtes-vous donc ?
-Je suis Nargesse, une plante animée. Je ne sais d’où je viens, ni quel est mon rôle, j’ai été laissé là, sans explication. Alors, j’accueille les êtres comme vous, tout autant perdus que moi.
-C’est fabuleux, mais aussi effrayant, vous êtes une plante, douée de parole. Etes-vous la seule ? Nous vivons dans un monde où l’on ne se nourrie que de végétaux, s’il advenait que vous fûtes conscientes, notre monde s’effondrerait.
-Ah, c’est que je ne vous ai pas dit… J’ai été créée, je le sens, les absinthes me l’ont dit ; dans mes tiges, il n’y a pas de sève, dans mes pistils, il n’y a pas de pollen ! Seulement de l’huile, que je cache en me parfumant.
-Mais pour quelles raisons, pourquoi mirez-vous ainsi cette fausse mare avec tant d’admiration ? Je vous observais depuis quelques instants, et même en me parlant, vous fixez ce point à l’horizon. Mais rien n’existe ici !
-Oh bien sûr que si, je m’y suis promené, des heures et des heures, mais voyez-vous, l’on revient toujours au même point, à ces chaises boisées, et ces chaises en bulle. J’admire cette eau parce que je l’aime, ne regardez-vous pas avec tendresse votre beauté dans les yeux de ceux qui vous aiment ? Ce lieu est ma vie.
-Assurément, jamais je ne me serais attendu à un lieu d’une telle singularité !
-En ce monde, chaque lieu est unique, et chaque unicité est un monde…

III.

Inopinément, une légère mélodie s’éleva, d’un recoin jusqu’alors ignoré, perdu derrière les bulles-d’attentes. L’air inédit emplissait la salle doucement, d’une légère brume apaisant les esprits, comme un parfum enivrant, en quelques tons, amène du brillant à une œillade caverneuse. Là-bas, sous une chaleureuse couverture de raisins juteux, une silhouette de jeune homme jouait paisiblement de l’harmonica, allongé de telle sorte que le faux-soleil puisse s’y incliner et verser sur le corps sanguin, tout son brio et son art de l’éblouissement. L’unisson d’un orchestre entier s’éventait de l’harmonica, vibrant comme une centaine d’instrument, accordés par un même souffle, une même vie. Au fil de la mélodie, les paroles se dessinaient sur ses lèvres, comme sur une partition muqueuse : « Pourquoi ne me touches-tu pas ? Touche-moi ! Maintenant! » . La bouche tortillée, il soufflait agilement un temps, puis levait l’instrument au soleil pour esquisser les paroles, quand l’exquise mélodie s’élançait magiquement des anches métalliques. C’était comme fumer ; la vapeur monte au ciel, et les lèvres sont marquées par le contact rêche. Ainsi l’esseulé maestro s’enfumait, virevoltant, envoûtant la pièce, crescendo, jusqu’à la dernière note, l’apothéose de la musique.
A la fin du morceau, l’étrange musicien ouvra les yeux, laissant apparaitre deux petites noisettes dans ses bulles-d’œil. Lentement, il se releva gracieusement, et adressa à la jeune fille un sourire intimidé, qui lui éclairait son regard praliné. Celle-ci, surprise et charmée, se mit à rougir comme une framboise au soleil.
« -Je… euh… balbutia-t-elle, je ne vous avez pas vu, il y a des perles qui se perdent dans les champs ! ; Puis elle se cacha les yeux avec ses petites mains blanches, persuadée d’avoir dit une bêtise.
-J’attendais qu’une douce voix me réveille, bredouilla-t-il. »
Autour d’eux, tout semblait s’être figé, dans un moment de perfection, les oiseaux chantaient sans interruption, l’absinthe rayonnait, et la plante gardait son silence. Entre leurs yeux fruités, une harmonie fébrile tissait son lien, un ruban translucide rapprochait leurs visages envoûtés, les attirant doucement l’un à l’autre. Alors qu’elle rougissait à s’en bruler, le jeune homme ne put empêcher ses lèvres charmées de se tortiller et laisser voir ses pensées : « Que tu es somptueuse ! ». Et soudainement, l’harmonica souffla un entrainant air de boogie-woogie, le sauvant de son embarras.
« -Danse avec moi, nos corps jaserons pour nous, murmura-t-il, en lui tendant la main.
-Oh ! Que virevoltent nos cheveux ! S’exclama-t-elle, lui attrapant la main, dans un sourire radieux. »
Energiquement, ils fléchirent leurs jambes, cambrèrent leur bassin, et s’apprêtèrent à swinguer. Ils se tenaient les deux mains, en se regardant fixement, mais soudainement elle lui lâcha la main droite en se reculant, l’obligeant à l’entrainer vers lui, et démarrer le rythme frénétique de la danse. Il l’attira par la main gauche, et elle vînt en tournoyant, dès lors, leurs jambes jouaient, sautillaient, et se balançaient, s’arrachant presque, dans une intense folie libertaire, que seules leurs mains contenaient, se nouant comme une fragile ficelle, les attachant l’un l’autre, au tempo du piano, et de leur désir intérieur. Une force les détachait, pendant qu’une autre les attirait irrésistiblement, et cela rythmait leur danse. Leurs corps s’affrontaient, se découvraient, tandis que leurs lèvres souriaient, de cette joie enivrée qui fleurit sur les visages jasant. Enfin, l’harmonica s’éteignit, épuisé d’une telle cadence, et le jeune homme tira à lui la jeune femme, la serrant contre son corps émoustillé, en glissant doucement sa main droite, de sa joue suave en montant jusqu’à sa chevelure dorée.
« -Une bulle rosée m’a nommé « Chloris », lui confia-t-elle à l’oreille en embrassant son cou, et toi ?
-Une voix ennuagée m’a intitulé « Floris », lui souffla-t-il.  « Floris et Chloris », deux bras liés, une danse endiablée, et des œillades éblouies, à nous deux, nous sommes tout un poème ! »
Ils rougirent.

IV.

Silencieusement, une légère nappe d’eau se glissa dans la clairière en douceur, comme une petite vague caresse une plage ensablée, substituant les grains de sable par de l’écume salée. Surprise, Nargesse gloussa, puis releva ses panards chatouillés, tout en ne quittant des yeux Chloris et Floris se tenir la main, tellement envoutés, qu’ils ne sentaient la vague leur engloutir les pieds. Ils se regardaient en silence, se dévisageaient avec leurs fruits. Mais soudainement, alors qu’ils commençaient à entrer en légère harmonie, un radeau se faufila dans la salle, avec grand fracas. A son bord, le médecin jouait des rames, vêtu d’un costume rougeâtre, et d’un masque de renard. Il contemplait son ciel artificiel, d’un air mystique, puis leva les bras au soleil, et dans la petite salle isolée, ce fut la nuit. Médusé par le radeau, les envoûtés stoppèrent leur étreinte naissante, s’écartant brutalement, un peu gêné. Ils le regardaient, stupéfait, tout en rougissant.
« - Vous voilà assez fleurie Chloris, affirma le médecin, veuillez venir dans mon cabinez.
-Mais je suis la dernière arrivante, dans cette salle étrange !
-Et vous êtes en rouge. Allons, venez. »
Il indiqua le chemin à prendre, puis s’évapora en un nuage, dont tomba une petite boite à musique. Chloris s’en saisit, et l’examina.
« - Quelle drôle de boite ! Elle est en bois, mais au doigt, elle est douce comme la laine.
-Ecoute, murmura Floris, on l’entend bêler ! »
Elle ria derrière ses mains fluettes.
« -N’essaye pas de me rendre chèvre, bel agneau…
-Regarde sur le dessus, il y a une sorte de bouton.
-Oh, attends, j’appuis. »
Elle déposa son doigt ténu sur le bourgeon vermillon scellant le petit coffre. Et, au doux contact de sa peau, la petite cerise bourgeonnée s’enfonça mécaniquement, dans un cliquetis enfantin. Alors, une fragrance sucrée s’en expira, parfumant le visage illuminé de Chloris, qui aussitôt se mit à sourire, d’un sourire de jeune danseuse émerveillée. Puis, un filet de lumière monta de la boite à ses yeux écarquillés, et disparu des airs, se réfugiant dans ses blanches pupilles enchantées. Eprise de musicalité, Chloris s’éperdait à danser, tournoyer, le regard fixe, et le sourire attendrissant. C’était elle, la danseuse de la boite à musique, les cheveux au vent de sa grâce, plus que belle que vénus, charmante de vénusté.
Face à elle, Floris portait la boîte, ébaubi. Dans ses mains, le bijou musical tournait sur lui-même, la piste de danse évidée. Une petite comptine s’en écoulait, lentement à la lumière, à la claire-fontaine, et un rossignol bleu, nouvellement posé sur l’épaule de Floris, rythmait la douce mélodie.
Finalement, la boite acheva son morceau, et Chloris fut désenchantée, ses yeux se désembuant lentement. Elle se sentait presqu’harmonieuse, prête à l’intensité. D’un regard frais et sucré, elle inondait d’attrait le visage de Floris, qui rougissait chaudement d’envie.
« -Te reverrais-je ? Risqua-t-il.
-J’erre ça et là… Tu ne me retrouveras pas.
-Les pérégrinations se croisent en des lieux poétiques. Je suis certain de te retrouver quelque part…
-Au vent ?
-Presque, sylphide ! Sur le quai d’une gare…
-Je vois.
-Et me verras-tu ?
-Dans sept jours, je t’attendrai au zénith.
-Où cela ? Je veux que l’on s’irise au soleil, je veux que la verdure caresse nos œillades !
-Austère-liste, près des jardins. »
A ces murmures timides, elle s’en alla en un souffle, et Floris conclu d’un ton joyeux, avec son harmonica.

V.
Dans un mutisme étouffé, le cabinet attendait, grouillant d’appétit. Il guettait la bête malade, la proie facile, vulnérable dans l’obscurité. Il était silence et fixité, comme un pré immobile, avant les grands vents. Il exhalait le vide, tout ce qu’on ne connait pas ; et l’air, si lavée, si gazée, qu’elle en était dépourvue de vie. Respirer brulait les poumons, les gonflait de souffre, jusqu’à ce qu’ils rejettent ce qu’ils avaient dérobé  d’air.
Lentement, la porte soyeuse s’ouvra, en un long crissement dément. Et Chloris, apeurée, resta figée à la vue de la salle. Ses framboises se gâtèrent ; la pièce était sans consistance, espacieuse1 et vide. Là, nulle-part, flottaient un bureau, un vélo, et le médecin.
« -Comment allez-vous ? Demanda-t-il, derrière sa gueule de renard. Votre teint est sanguin, j’en conclue rationnellement et après d’intenses délibérations intérieures, que la boîte médicale a fait son petit effet, comme prévu.
-Oh, je vais merveilleusement bien, comme vous l’imaginez. Je venais seulement vous jeter le bonjour à la gueule.
- J’aime, c’est claquant.
-Et dix fois doigtés.
-Vous venez pour votre main ?
-Non.
-Eh bien ?
-Devinez. »
Défié, le médecin se retourna, contourna son bureau en flottant, et fouilla son tiroir. Dedans, tout s’entrechoquait, c’était une fanfare. Chloris le voyait à son visage aigri, il luttait de la main, les dents serrées, contre ses instruments et autres bistouris, qui jalousement s’évertuaient à gagner sa faveur. Finalement, après des coupures et des notes aiguës, il triompha de la communauté scientifique de son tiroir, et brandit, dans ses mains plastiquement gantées, un serpent souple, tout gris et long. Il ferma la caisse emboitée ; on entendit un bruit étouffé de trompette.
« -Amenez votre petit crâne, et votre corps rougissant, Tyson2 va vous ausculter.
-Tout est vide ici, bredouilla Chloris, toute pâle. »
Le serpent sifflait doucement, fouettant le regard angoissé de Chloris. Heureusement, le médecin le tenait ardemment par la queue. Droit comme un fer rouge, le reptile rampait dans l’air sous l’impulsion du médecin, jusqu’au bras sucré de Chloris. Et Tyson reniflait sa peau frissonnée, sentant chaque pigment effrayé. Puis sans un mot, le médecin pressa son outil, et celui-ci inséra dans la chair, ses deux crochets fins comme des aiguilles de seringue. Instantanément, Chloris poussa un cri de terreur ; le serpent lui aspirait la vie, lui coupait le souffle, puis se retira, calmement. Il devint noir, puis disparu. On entendit une lourdeur chuter dans le tiroir.
Toujours sans un mot, le médecin reposa Chloris sur son bras droit, et d’un coup brusque frappa dans sa poitrine, avec l’autre main. Ce qui eut pour effet de la faire tousser, à s’en époumoner. Ainsi les poumons sortirent, curieux ; et il les examina, attentivement. La curiosité déçue, ceux-ci eurent vite fait de s’en retourner chez eux.
« - Sang sain, peau sensible, poumon sans crible, larynx tragédien, dit-il monotonement…
- Il n’y a même pas d’étoile à ce ciel … Comment faire s’il pleut ?
- … Pigments sains, œil vif, respiration calme …
- Je vous hais, je vous hais ! Vil réverbère, tueur d’étoile, rideau de théâtre !
- … Non vraiment, je ne comprends pas.
- Il avoue !
- Mais qu’avez-vous ?
- Une désharmonie ! J’ai la rose, là enracinée en mes poumons, toute sèche et noircie.
- Oh, je m’attendais à un nénuphar.
- Pourquoi donc ?
- Je suis d’humeur jazzique.
- Et pour ma rose, que comptez-vous faire, avant que je fonde en marécage ?
-Si c’est l’Harmonie qui défaille, la Poésie des Etres vous guérira…
- Qu’est-ce que cela ?
- Une étincelle sempiternelle entre deux êtres.
- Mais que faut-il faire ? Que dois-je faire. Ah ! Qu’étouffe le néant de cet endroit, qu’il déborde et implose du souffle de ma colère ! Ce cabinet est vivant, je le sens, il m’asphyxie … Mais il est si vide, il m’aspire à l’inanité, à ne plus être, ne plus agir, respirer. Oh ! Je ne veux même plus inspirer ce miasme, cet air de cellules exterminées … Tout est si propre, si désinfecté … ! Que moi-même, je ne puis y échapper, je suis une pathologie, une mutation. Il y a anomalie en moi, immense folie, … et tout ici n’est que destruction et nettoyage. Allez ! Approche ignoble, anesthésie-moi, et j’emplie de fleur ! Ton temple propre sera celui de la luxuriance ! Ahaha, une terre du désordre, une jungle harmonieuse, une création sinueuse dans ta vacuité !
- Pytheur ! Notre cliente déraisonne, héla le médecin la peur à la voix, apporte le sucre poudré !
- … Le monde est déraisonnable, je fais corps ! …
- Je viens Gabriel, tonna une voix rauque, la foudre m’envoi. »
Culminant dans le cabinet, l’homme aux yeux noix et à la moustache grise tournoyait comme un vautour, puis tira sa coiffe noir, laissant apparaitre son crâne chauve, et s’inclina comme une buse en chasse, entrainant sa nuée noire sur l’enfiévrée. Une fois à bonne distance, il tonna agilement un éclair de poussière étoilée, qui pesa sur les paupières démentes de Chloris. Elle s’apaisa, neutralisée.
« -Bon, je vais vous faire une ordonnance, dit joyeusement Gabriel. L’ail-cogne3vous satisfera sûrement ; puis c’est un ami qui le vend. Il en fait son usufruit, alors on s’accorde. Enfin, dans votre état, vous ne sauriez comprendre, ahah !
-Il y a une ordonnance pour ça ? demanda Chloris, le visage lunaire.
-Avec l’ail-cogne il y a une ordonnance pour tout !
- Et le… le… le priprix, le prix n’est pas trop … esquintant…, percutant ?
-Seulement cent pilums, dit-il en lui glissant l’ordonnance dans une poche. Vous savez, les petites pièces métalliques, fines comme des épines, assassine comme des couteaux. »
Les pupilles poudrées de Chloris frémirent, se maculant d’un teint sanguin ; c’en était un chaudron en ébullition, où des framboises s’enflammaient. Ses voyants rouges réactivées, elle reprit conscience ; et sa furie.
« -Eh ! l’infâme, il n’y a que votre égoïsme archaïque pour valoriser ces métaux inféconds, incomestible à la dent ! Mais soit, je vous les paie, je n’en ai que faire. Mais lorsque vous n’aurez plus qu’eux, vous comprendrez qu’ils vous seront effroyablement inutiles lorsque ma luxuriance envahira votre enfer aseptisé ! Captifs de ma jungle, dans mon arc-en-ciel fleuris, vous aurez grand temps pour gouter le métal, et vous en briser la mâchoire !
-Vous n’irez pas loin, il vous faut une ordonnance pour sortir.
-N’ordonnez pas vainement, je ne suis pas une fille ordonnée. Voyez mes cheveux ! »
A ces mots, Chloris, éprise d’une aura de nymphe, se raidit gracieusement, en levant les mains aux nues, et s’échevelant comme une fleur sème ses pétales. Des lianes prolongèrent ses doigts, des bourgeons s’exhalèrent de ses cheveux, puis dans un tourbillon, tiges et boutons s’unirent alchimiquement, formant une épaisse végétation croissante. Chloris, légèrement surélevé, flottante, souffla l’air d’un vent printanier, et ainsi caressée, la forêt fleurit. C’était la fluette fleur triomphant du désert, la vie surgissant du vide.
Et lorsque le néant lui-même eut fleuri, Chloris grande-sœur des fleurs, bondit sur le vélo flottant, comme l’on s’hisse aux nuages, et pédala en chantonnant. « Voici la flore de la vie ! » annonçait-elle, avant de disparaitre, en une fumée rosée. Et dans le tiroir du bureau, une centaine de Pilum sonna. Des épines de fer, dans un bocage de rosier sauvage.

1 : Mot-valise composé de Spacieux et Espace. L’idée est de comparer la pièce avec l’espace, gigantesque et vide, suscitant un sentiment de néant.
2 :Mot-valise composé de Python, et tison.
3 : Iphone. « Avec l’Iphone, il y a une application pour tout. » Célèbre dicton publicitaire, prêtant à la parodie.



VI.
Du jazz manouche ondulait dans la Rue de l’Harmonie. Les pavés, engoués par la mélodie, s’étaient essouchés, et dansaient dans l’air par à-coup. Ca s’envolait comme des notes quittent leur partition, des feuilles lâchent leur arbre, ça se libérait du sol, comme un puzzle qui éclate. Mais l’air jazzique, aux sonorités piquantes, était calfeutré dans la rue par les voies concomitantes. Elle était dite trop militante, trop montante. Alors on l’enfermait dans son cocon. Les autres rues la méprisaient. Pas d’issu pour la jeune Harmonie dans la rue sourdine, ni dans la rue oppression. Y avait bien la rue écho, mais Poésie s’y entendait Aporie. Puis elle débouchait sur l’impasse du joug, où tous les vilains mots affreux finissent. C’est connu des n’enfants, c’en est plein les murs. Des murs de vilains mots. Ils restaient là, désemparés de n’avoir trouvé une bouche par laquelle se faire accorder.
Harmonie était pour ainsi dire enclavée, mais tenait ferme. Elle ne bougeait pas d’un mur, pas d’une antenne, pas d’un mat. Ainsi vivait la rue, s’engouant à tout concert spontanée. A ces instants enfiévrés, dès lors qu’on y marchait, on la sentait respirer. Grossir et rétrécir, comme l’on respire. Il y avait son souffle qui gonflait les narines des mectons, et les poumons des jeunes filles. Et son haleine douçâtre avait qué’quechose du cannabis. Parfois même, par un léger vent enivrant, elle se confiait aux oreilles. Elle était de langage poétique, il fallait en être, être du trip, pour avec z’elle discutailler. Elle était jolie Harmonie, elle chantonnait comme parle la poésie.
La musique venait d’une fenêtre ouverte sur la rue. Une fenêtre qui ne s’ouvre que de l’extérieur. Une brèche haute comme un nid d’aigle, où vint s’y engouffrait un oiseau gros comme un ours. Cela y sentait le miel, et le piaf se posa sur un albizzia. C’était au septième, dans un tiroir d’appartement. Celui où c’est joli, où c’est un beau bordel. La piaule était en fleur, elle était en peau de printemps. L’albizzia rosait la lumière, et un chêne couvait la pièce avec ses grands bras. Dedans, on y trouvait des fraises. L’air était sucré, ça y chauffait comme dans une ruche.
Dans ce tiroir à foutoir, il y avait surtout une belle pagaille. Tout ce qu’on aimerait avoir dans son tiroir. Donc un chêne, des fraises, un albizzia. Mais z’aussi un cactus, un autonuage, des yeux noirs, un képi de lugeur, des livres parlant, ou du vin. En fait ça dépendait. C’est le type à l’instrument là, c’est cui-là qui décidait.
La piaule était ombragée et angoissante, comme un marécage de nuit. Le type à l’harmonica veillait, il donnait l’image d’un vieil hibou. Puis ses yeux balançaient de gauche à pas-gauche, il avait l’air d’une horloge à pendule. Et l’instrument continuait sa berceuse éméchée. Tout le quartier était dans un rêve mouvementé, que l’harmonica orchestrait. Soudain, quelqu’un frappa. La porte cria. Tout sursauta, tout sortait des rails. Le type secoué, s’en est trainé jusqu’au vacarme.
-« Mmmmh, qui qu’c’est ?
- C’est Django, sacré paresseux ! Lâche ta branche et ouvre à ton pote.
- Mais c’est ouvert mecton, j’ferme jamais, j’tiens à ma serrure.
-Toi Floris, t’es un bon hôte. »
Et il entra.
-« Attend je m’inscris sur le registre !
-Tu m’amuses Django. Met tes patins aussi, tiens. Bon mon gars, tu veux de l’eau ?
-Tu m’fais marcher… T’en as vraiment ? »
- Réserve oblige mecton. Puis j’ai creusé un puits dans la cave.
-Un quoi ? Encore un de tes concepts antiques… »
Mais pour l’interrompre, Floris fit apparaitre un verre dans sa main. Django le chopa difficilement.
-« Wouaaa-préviens ! dit-il rapidement. Puis tu y vas fort. En mode de difficulté dément…
-Ahah, bon réglage, non ? Attend, j’m’arrache et j’re. »
Il s’en alla derrière l’albizzia. Délicatement, il en tira un compartiment en écorce. Dedans, un gros flacon d’eau douce comme des joues de femme. Et il le porta au verre de Django.
-« Eh ! Mais pour quoi tant d’effort ? Elle serait bien venue toute seule cette flotte.
-J’aime quand tu t’égosilles gars, précisa malicieusement Floris. Dis, faut que j’te parle d’un truc somptueux.
-Bon, comment que j’devrais la prénommer ta jeune dame ?
-Ahah touché ! Chloris. C’comme Chloé, mais avec des iris en braise.
-J’aime. Je t’autorise à la voir, mon fils. »
Ils rirent gaiement. Puis trinquèrent à l’amour à la musique.
-Puis tu sais, s’exclama Django, iris en braise, femme à ba…
La porte tonna à nouveau. Floris sourit.
-Entre Max !
Et l’ainsi-hélé traversa le mur, en ondulant du corps. Django sursauta.
-Sacré Max ! Je m’y ferai jamais !
Ca ria dans la piaule.

VII.
C’était le jour. Floris attendait sous le cèdre du Liban. Au dessus, les branches étaient tapissées. Les épines se cotonnaient en ombrelle. Assis sur le collier en pierre de l’arbre, Floris regardait anxieusement le belvédère. Là tout haut, il décorait le sommet de la butte. Le bleu du ciel semblait s’agitait entre les colonnes.
Floris en avance, pour une fois, en payait de sa patience. Il palissait.
-Chloris, douce bourrasque, pensait-il, je t’en pris. Viens. Viens…
Et il récitait ainsi son Ave Chloris. Pour se détendre.
« J’te salue Chloris pleine d’audace
Ta fraicheur me rend fou
Tu unis toutes les âmes
Et ta vie en pagaille est bénie
Absinthe Chloris Misère des Dieux
Souris pour nous libérateurs
On ne demeure qu’ivre-mort 
Zen…»

De son côté, Chloris courait dans la bouche du Méclair. Désorientée, et courant à l’instinct, elle sauta dans la première rame venue. Elle était un peu verte, le méclair a une bouche qui respire peu. Elle n’avait plus d’airgums. Même en apnée, elle prenait le temps d’encore penser. Ainsi la belle espérait que ce tigent Floris soit là. Est-il toujours vivant depuis le médecin ? Qu’avait-il ? Et elle trouvait des bulles d’air dans ses questions.
Austèreliste, elle lâche la barre, et descendit en coup de vent. C’est qu’elle aime sauter des rams en criant « A l’abordage ! » et courir en bousculant, jusqu’à l’air et enfin la sortie. Etouffée, plus verte qu’une feuille, elle préfère aux longs escalators les escaliers. Quelle escale ! Et Chloris sortit des tunnels carrelés de blanc. Devant le jardin des plantes. Elle inspire l’air comme une fleur hume la vie. Elle sourit. Et une pensée rouge fleurit dans ses cheveux.
Chloris entra face à l’ancien muséum d’histoire naturelle. Reconverti en centre commercial. Elle salua Darwin, puis s’en alla au labyrinthe en sautillant.
Chloris galopait à la vitesse du vent. Elle soufflait les pigeons comme l’automne balaye les feuilles. Mais ici, en s’envolant, les piafs évoluent. Les airs sont sales de pigeavion à réaction. Et Chloris s’est vite aperçue qu’elle courrait sur leur aéropiste. Faut dire, ces grandes avenues à gravillon sans vie, c’était déjà louche.
Soudain elle entendit au loin un rire pierreux. C’est Darwin qui se poilait. Sans comprendre elle continua sa course. Ses cheveux sentaient la framboise, c’est que tout allait. La tête en arrière, c’tait comme si elle se faisait tirer par un fil jusqu’à Floris. Autour d’elle, sur les côtés, des plantes jardinent leur jardin. Un sapin acuponcteur apaisait un chêne centenaire. Et des pins se jetaient leur pomme. Le parc était en vie. Chloris sourit.
Et voilà, elle inspira fort. Oublia qu’elle battait la chamade. Doucement, elle s’assit sur le banc rond. Le collier de pierre autour du cèdre du Liban. Toute rouge, elle ferma les yeux. & attendait.
De l’autre côté, Floris l’avait sentit. De la framboise sucrée, de l’air dingue, et la fraicheur du vent. C’est elle. Elle est venue. Alors il jointa ses deux mains, et fit vibrer son harmonica. Mais tout doucement, dans un murmure. Elle frissonna au son. Tout en musique, Floris se glissait le long de la pierre. A la vitesse de l’aiguille des heures, qu’elle pensait. Et enfin, elle vibra à son tour. Il lui embrassait la joue. Sa peau était vanillée.
-Tu es venue, qu’il dit l’inventif.
-Oui, qu’elle dit simplement.
-Tu peux ouvrir les yeux tu sais. Ils sont si beaux.
-Je savoure. Tu sens ce courant entre nous ? Puis j’aie les yeux rouges. & j’aie peur.
-Ce lieu est étrange. Mais t’sais, la vie est libre zici.
-Tu as bien choisi, qu’elle affirmait.
-Zieute la butte. Regarde. Ce ciel bleu. Les cipres. Et le belvédère. Viens, grimpons.
-A travers les herbes alors ! Escaladons.
-Sauvagement !
Leurs fruits se gorgèrent de jus. Ils avaient la licence aux yeux.

VIII.
& Chloris pecho Floris. Par la main. En lolant follement, ils montaient par delà les orties. Il voyait la jupe rouge de Chlo’ virevolter. Et il manqua de tomber.
-Concentre-toi, qu’elle glousse. Oh, un coquelicot !
-C’est ce que j’fais mvois-tu. Il rit.
Il se redressa, cueille la fleur, et courra derrière Chloris. Elle se foira, il la rattrapa. Ca sentait la framboise cueillie. Et ils arrivèrent en haut. Et sautèrent par delà la barrière noire. Qui laissait entendre l’interdiction de leur acte.
-Le labyrinthe ! En avant, à travers les haies !
-Tricheuse. Il sourit.
Puis lui pointa le coquelicot dans sa chevelure blée.
-Allons-y. Qu’il ajoute.
Elle ria. Alors il se jeta dans un petit tunnel. Les haies étaient percées. Par des éperdus désespérés, semblait-il. Dedans, des vilains mots moches.
-Etranglé. Mort. Faim. Singe. Pain. Argent. Qu’il lisait…
-Comme c’est affreux. Qu’elle frissonnait. Allons-y ! Qu’elle ajouta, enjouée.
Main dans la main. Chloris et Floris se jouaient du laby. Ils trichaient gaiement. Mais une fois face au belvédère, une voix les interpela.
-Le mot de passe ?
-Mmmh euh… Vie ?!  Qu’ils dirent en cœur.
-En piste ! 
Sans comprendre, ils marchèrent les marches. & au sommet,  le vent se leva. C’était frais sur la peau de Chloris. Floris la prit dans ses bras. Au centre du belvédère.
-Le ciel bleu à quel goût, à ton avis ? Qu’il s’enquit.
-De l’eau fraiche. Elle l’embrassa. Ses lèvres étaient gout ciel. Il ferma ses noisettes.
& le belvédère prit vie. Ses pilonnes tournaient. Le toit mélodiait. Et Chloris & Floris tournoyaient au vent. Comme dans une boite à musique.
-Tu vois la boite, dans cet ancien film ? Jeux d’enfant. Eh bien dedans, c’est nous. Qu’il lui souffle.
-Tais-toi, et tourne. Zieute donc les sapins faire cercle. Voici notre monde à nous.
-Fermons-la. C’qu’on n’est pas fin. Viens zà moi.
& ils s’embrassèrent encore et encore. Puis la nuit tomba. Avec fracas.

IX.
« -Et après ? Raconte !
-Je n’sais plus. C’a été tellement vite. La fuite en fou-rire. Et ce ciel noir menaçant. Sans lune. Le jardin était devenu fou dans cette nuit orpheline. On s’est perdu dans la ménagerie je crois.
-A c’qu’on m’a dit, c’est devenu sauvage là d’dans.
-Fieu, on dit juste. Moi j’te l’dis. On trainait ensemble pénard, on s’en foutait d’où c’qu’on allait. Pour ça, on laissait faire nos pinglots. En fait on ‘captait pas où c’qu’on s’retrouvait.
-Je pige pas, quoi qu’il y avait dans c’te ménagerie ?
-Des cadavres ! C’est devenu un cimetière d’animaux. M’enfin, plutôt les traces d’un massacre. Moi j’peux t’dire, i’se sont pas ménagés les salauds.
-Ils les ont laissés crever ?
-Gzactement, mon gars. Alors t’imagine nos frimousses quand qu’on a r’gardait autour de nous ! Chloris était toute pâlotte, elle avait la frimousse qu’en perdait la mousse. Elle m’a dit, toute tremblante : « Partons ». Dans un souffle t’sais, à t’en glacer la crème pâtissière. C’est bien ça, on était deux crèmes glacés. Mais la crème de la crème hein, c’qu’on fait de plus froussard.
-Arrête, j’serais parti direct en hurlant. Et j’peux t’dire, t’m’aurais retrouvé derrière cinq pintes de bières…
-Paye ton air terrifié mec, et avide d’alcool. Eh ! J’raconte pas la suite sans un verre plein moi. »
Une épaisse fumée flottait dans la salle, comprimée entre les murs râpeux. Elle survolait les têtes exaltées de Floris et Django. Comme un gros nuage laineux. Dedans ça cliquetait sauvagement, ça tempêtait de vie. Alors, un petit siphon se forma au dessus d’eux. Comme un entonnoir à fou. Un petit vélo en décanta, sellé par une mousseuse. Elle vola jusqu’à la table, avec ses guidons-planeurs, et chercha à se faufiler tant bien que mal, jusqu’à la main tremblante de Floris. Une aire d’atterrissage était aménagée, mais la mousseuse se révéla être une nullos de pilote. Elle tomba dans une jungle. Enfin, plutôt dans l’image du jardin des plantes, reproduite par la table à rétroprojection. C’était une petite réalité, créée le temps du récit. Ainsi Django regardait, avec amusement, la mousseuse échapper à un squelette de tigre, tandis que dans ses sillons, une écume piquante dissolvait les arbres virtuels. Floris sortit d’une étrange rêverie d’hébété, et se mit à rire en voyant la poursuite. Le félin en os pixélisé bondit sur la pauvre mousseuse essoufflée. Ca y est qu’elle se disait, j’vais trinquer. Mais Floris la chopa d’instinct, avec le reflexe de l’ivrogne.
« -Ah ouais, c’est toujours moi l’alcoolique, avide d’alcool ? ironisa Django, le sourire plein de dent.
-Disons qu’t’as un pote alcoolo comme toi ! Bon, j’paris qu’tu devineras jamais la suite de l’histoire.
-Du film tu veux dire. Eh beh, j’vois bien un taxi-nuage débarquer à l’arrache, et vous soutirer de c’t’endroit macabre, et du flouze de votre argentière. T’sais il fait un dérapage du tonnerre, vous embarque, et s’taille en un éclair !
-Nan faut que tu retravailles tout ça. Elève Django, votre rédaction manque de justesse.
-T’es marrant toi, j’suis pas scénariste ! Allez, balance.
-Bon m’okay, je crache le morceau. Tu vois où j’en étais ; les animaux morts de faim, la ménagerie vide, les ossements. Après la peur, on a eu la rage qui nous montait au poing. On s’est zieuté, comme ça, et je sais pas, c’a été électrique. A l’unisson on s’est mis à crier « Justice ! ». Et c’est là, qu’on avait comme qui dirait brisé le silence du crime. Juste avant tout était calme, l’endroit mourrait tranquillement, loin des regards. Mais là j’crois qu’on avait déclenché l’alarme. Y a eu un assourdissant vrombissement, on avait pissé dans la ruche. Partout, des coléohélicoptères. Ouais, les condés ! V’la que j’te salie l’ciel, avec ma ferraille à tuerie. Ils nous tournaient autour, c’est qu’ça bourdonne une putain d’armée d’insecte.
« -Salut les copains ! que j’ai gueulé. Salut les vaux-rien ! qu’j’ai ajouté, histoire d’être clair.
-Bonsoir matricul 10901683. Bonsoir matricule 10901638. Vous êtes en situation irrégulière, dans une zone interdite. Nous vous invitons fortement à suivre la procédure fixée par le protocole 36B. Veuillez ne pas entraver notre mission de pacification. Veuillez-vous laissé pacifier en toute liberté. Vous avez le choix de ne pas en faire.
-Du coup, on lève les paluches ou bien ? qu’elle a demandé la Chloris.
-C’est vrai ça, faut être clair, bande de juristes volants. Que j’ai ajouté, tout guez. Puis la paix ça nous connait, on zone sans gêner personne nous z’autre.
-Langage incorrect, appauvris, et inintelligible. Saisissez ces délinquants du langage ! qu’avait bziiiiiité le coléohélicoptère le plus gros. Pacifiez-moi ces cailles!»
Un brouhaha d’applaudissement et de sifflement enivra le Barazik. Une bande de québécois s’installa sur scène.

Petrole

Le Sphynx

Tu es nue
Allongée comme un sphinx
Tes cheveux bruns
Sur tes épaules
Tu manges un carré
Cacao piment
J'arrive dans ton dos
Attiré par tes fesses
Bombées et bronzées
Comme un soleil
Doucement
Je descend vers toi
Nu
Mon sexe tendu
A l'oblique droit vers toi
Mes bras t'entourent
Mes jambes te couvrent
Tu tournes la tête
Pour m'embrasser
Ta langue vient chercher la mienne
Dehors les oiseaux chantent
On entend les vagues
De l'océan atlantique
Je rentre au chaud
Dans ta fournaise
Je veux qu'on aille au paradis
Maintenant pour toujours
C'est si bon d’être là
Avec toi
Mon amour

Fougue

La boussole

En bonne compagnie, la tête endormie contre l’épaule de Francis, Sol a le sommeil agité. Il y a d’abord des racines puis des arbres & des feuilles. Son rêve s’entortille, il est dans le bosquet d’arbre vert au milieu des champs de blé. Renard parmi les oiseaux dans le biotope refuge, il tousse avec les autres tous les pesticides hors de ses poumons. L’agriculteur dingue arrache déjà les premiers troncs quand il a enfin fini de lire tous les journaux, tous les écrits théoriques anarchistes. Sol le renard a perdu sa vie à défendre seul cet ilot de liberté. Les oiseaux s’envolent. La ville a faim il faut nourrir les humains. La mer monte. Sol grimpe au plus vieux de ses chênes. Il ne voit plus rien, il n’a jamais rien vu. Au loin des fleurs rebelles poussent. Des coquelicots rouges. Sol le marin se rappel que parmi la cime de sa forêt flotte aussi le mat de son bateau. Sol mon capitaine tu as abandonné celle que tu aimes. Il regarde son poigné. Il voit. Une montre sans aiguille. Une montre boussole.

Haiku phène


je me réveille
mon acouphene préparait
le thé


je retiens mon souffle
combien d’abeilles
butinent mon esprit


le teknival bourdonne encore
suis-je toujours trop prêt
des murs de son


il siffle et crépite
je médite
au coin de son feu


Alice fume par la fenêtre
mon acouphène disparaît
derrière la clameur d’Aubervilliers


Ginkgo biloba
deux gélules le matin
une autre le soir


l’ordinateur ventile
le chauffe-eau siffle
l’acouphène vibre


Premiers jours de Printemps
le soleil réchauffe
mes oreilles


Je l’écoute avec crainte
enseigner ici et maintenant
maître de l’équilibre


quand mes acouphènes roucoulent
tilleul et camomilles fleurissent
au fond de ma tasse

le tigre rugit
je m’embaume
le front et les joues


Moissy




Petits messages poétiques



Harmonie





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une balle perdue
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Chloris et Floris

XIV.

Entre deux wagons, les trois compères de fortune partageaient vin rouge et victuailles. Archie ouvrait une boite de maïs, assis contre la porte. Au dessus de lui, un écriteau précisait "cette porte donne sur les voies', au contraire de celle de Floris, gardant l'entrée des toilettes. Chloris coupait le pain, ajoutait le maïs, les tomates, et du concombre. A chacun sa part. Le vin rouge tournait de bouche en bouche, s'engouffrant par petite lampée tout droit là où ça rend joyeux et léger. Le train brinquebalait et la nuit installait son ambiance aventureuse.

- J'ai parcouru tout le pays avec mon vélo, racontait Archie. J'ai
- Tu n'as pas eu d'ennui? s’inquiéta Chloris.
- J'ai pris les petit chemins, caillouteux, loin des villes et des villages. J'étais sur des sentiers perdus, au milieu de forêts obscures et épaisses. Loin de la folie des hommes. J'ai rencontré de si vieux arbres. Grands et sages !
- Et maintenant tu es ici, dans ce train, avec nous.
- Oui je pense que vous et moi nous cherchons la même chose.
- Fuir ce monde détraqué et mourant ...
- En chercher un nouveau ...
- Trouver où en créer un meilleur.
- Oui ! s'exclama Archie. Regardez, regardez, j'ai ici dans mon sac un journal clandestin. Lisez-moi ça.
- « L’air se raréfie » entonna doucement la voix fébrile de Chloris, « nous n’avons plus de nouvelles des grandes villes depuis maintenant plusieurs jours. Nos derniers contacts avec la pieuvre urbaine nous autorise à penser que la situation ne fait que s’empirer d’heure en heure. Les trous d’airs semblent ne former plus qu’un monstre froid mité de quelques poches d’oxygène en déperdition. Alors nous pourrions croire que l’histoire est close, que s’en est fini de l’humanité urbaine, et pourtant… Les cheminées des usines fument toujours. Les survivants restent plus que jamais esclave des puissants. Ces derniers ont trouvé la parade pour que la production ne soit pas stoppé. Le port de l’asque est obligatoire. Son absence signifie dans le meilleur des cas une peine de prison à perpétuité, mais plus systématiquement une exécution immédiate. Cet asque serait un champignon que l’on insère de force par les conduits nasales et qui aussitôt colonise la bouche, les yeux et les poumons. Zombifié de force, le travailleur semble avoir perdu tout libre arbitre en contrepartie d’une vie sans oxygène. Une telle perspective semble avoir été jugé pragmatique par le plus grand nombre, tant l’absence de révolte trahit la résignation générale ! Bien entendu les poches d’airs restantes sont maintenues coûte que coûte par les nantis grâce à l’édification de citadelles luxuriantes. »
- C'est dingue comment les choses changent vite quand leur vie en dépend! s'exclama Floris. Bref, tu peux continuer, désolé.
- « Ces bastions grimpent au ciel tel des haricots magiques, accumulant toute sorte de plantes, chacune isolée dans son bac standardisé. Cette végétation n’est pas nouvelle, ils l’ont pillée ici et là et plantée de force dans ces grattes-ciels érigés contre la Terre et la vie. Mal acclimatée, beaucoup de ces végétaux déracinés jaunissent et meurent, ternissant l’édifice et accélérant leur frénésie botanique. Un autre monde est possible. Nous constatons que partout où la pollution est faible, les trous d’airs gagnent moins de terrain. C’est le moment où jamais d’orienter l’humanité sur un nouveau chemin, de changer la vie. Protégeons la nature, défendons nos terres. Rejoignez-nous, nous nous rassemblons là où les sentes de la liberté mènent. »
- Alors, s’enquit Archie, les amis, qu’en pensez-vous ?
- Incroyable, s’exclama Floris, tout est allé si vite. Il semblerait que pour une fois le vent souffle dans notre sens.

Chloris rendit à Archie le petit journal froissé et délavé par la pluie. L’échange fait, elle reprit une rasade de rouge, pour éclaircir sa voix. Le train continuait sa progression lente dans la nuit. On entendait le crissement des roues sur les rails tandis que quelques ronflements s’échappaient des cabines proches. Quelques fois, sans que personne ne puisse le prévoir, pas même le chauffeur, le train traversait des trous d’airs. Les plus grandes interruptions de l’alimentation en oxygène pouvaient durer jusqu’à plusieurs dizaines de seconde mais jamais plus d’une minute. On échangeait son excédent d’air avec ceux qui, pris au dépourvu, se trouvaient les poumons vides au moment de la pénurie. L’urgence aidant à briser les tabous, le moyen de transmission de l’air était bien entendu bucal. Cependant le style choisi n’était pas celui sobre et codifié du bouche-à-bouche mais s’apparentait plutôt à une belle embrassade, animée surtout par le désir de maintenir la flamme du grand brasier qu’est l’humanité.

Après avoir si bien mangé et bu, le trio fatiguait et s’interrogeait sur la marche à suivre pour le lendemain.
- Ce train file dans la bonne direction, mais son terminus est situé dans une grande ville, résumait Archie. Heureusement pour nous, je sais qu’il s’arrêtera quelques minutes dans une gare de triage pour déposer deux wagons de fret que nous transportons.
- Et c’est là qu’on saute ! s’exalta Chloris, les bras en l’air. Mais ensuite, que faire, où aller ?
- Nous devrions continuer notre route, dit Floris, nous laisser porter. Nous avons la direction : « où les sentes de la liberté mènent. » Nous avons nos vélos. « Rejoignez-nous » qu’ils disent. Allons-y ! Peu importe où ils sont, ce que nous trouverons, nous n’aspirons qu’à vagabonder depuis notre enfance.
- Oui, vagabonder et là où la terre semble douce sous nos pieds, nous enraciner. Et toi Archie, demanda Chloris, que veux-tu faire une fois hors du train?
- Comme vous, je pense. Je n’ai pas de plan précis. Nous pourrions faire route commune ?
- Oh oui, super idée ! Je suis d’accord. Et toi, mon amour de Floris ?
- Bien sûr. D’ailleurs, je propose que nous allions dormir un peu. Archie, vers quel heure serons-nous aux abords de la gare de triage ?
- Well, je dirais vers cinq heure du matin.
- Alors au lit les garçons, dit Chloris avec ses yeux framboises en crème.
- Tu as raison, répondirent-ils
-Rendez-vous demain aux vélos à quatre heure trente, ajouta Archie.


Ils se dirigèrent vers la cabine qu’ils partageaient tous trois avec d’autres voyageurs. Six lits superposés se tenaient compagnie, trois d’un coté, trois de l’autre. Cela sentait encore la myrrhe, brûlée il y a quelques heures par les équipes de nettoyage. La forme globale du compartiment était ronde, sans que la science physique ne puisse expliquer pourquoi. Le plafond était transparent, logeant orgueilleusement une flopée d’étoile, installées là comme lovées dans un hamac inversé. Au gré du cahotage du train sur le chemin de fer, les rangées de lit échangeaient leur position, tournant autour d’une roue invisible. Dans ce manège soporeux, Chloris et Floris étaient blottis l’un contre l’autre sous les mêmes draps ferroviaires. Conçue pour une seule personne, sans doute par un esprit solitaire, la couchette peinait à les contenir tous les deux, comptant les minutes puis les heures jusqu’à l’inéluctable et libérateur réveil des voyageurs.

- Floris… , chuchota Chloris.
-Oui, Chloris ?
- Je t’aime !
-Même si on est mal installé ?
- Même si on a mal partout ! Je voudrais être nul part ailleurs au monde. Et surtout pas dans ma vraie couchette !
- Moi aussi mon amour, moi aussi … souffla-t-il, tandis qu’ils s’endormaient paisiblement, se retrouvant aussitôt dans le rêve enfantin de l’un et de l’autre.



XV.

Tandis que le train paraissait toujours voguer dans un grand café noir, Archie accueillit Chloris & Floris avec son plus beau sourire malicieux.

- Alors les français, fin près pour la grande aventure ? dit-il, complice.
-Tu as bien dormi, s’inquiéta Chloris ?
- Oh, oui … Vous avez vu les étoiles.. ? J’ai commencé à les compter, et puis… enfin, j’ai du m’endormir… mais je me rappelle les avoir vu peindre des toiles. C’est possible, vous pensez ?
- Je me souviens d’un bleu profond, répondit Chloris, c’était peut-être les yeux de ma mère, et puis un jaune soleil, sûrement ses cheveux. C’était le ciel et la mer, au dessus de nous. Je me sentais protégée…
- Je comprends mieux pourquoi tu me serrais si fort, glissa Floris, un brin taquin.

En guise de réponse Chloris défit sa natte, laissant onduler ses cheveux jusqu’à sa poitrine. Puis d’un air de défi, elle pencha la tête, gonfla le buste, passa la main dans sa chevelure, et lui lança un profond regard d’amour. Désarçonné, Floris se promit de ne plus douter d’elle, et s’approcha pour l’embrasser.
- Non, tu es un voyou, le repoussa Chloris. Allez, nous avons mieux à faire, l’aventure nous attends.
-Oui tu as raison, nous devons descendre de ce train.
- Justement, intervint Archie, vous ressentez ça, le train, il ralentit ! Préparez-vous, je vais forcer la porte, et au signal de Floris, on saute tous !

Exécutant le plan annoncé, le vagabond anglais se dirigea vers le boîtier électronique de la porte. De sa poche de chemise, il sortit une petite mailloche de sa confection. Le manche était en bois de rose, tandis que la tête était en peau de champignon enthéogène.
- C’est un maillet à électrochetage, expliqua-t-il. Je tapote un rythme précis sur le boîtier que j’utilise comme membranophone. Cela fait caisse de reconnaissance dans tout le système, générant un son inaudible qui – miracle – ouvre la porte !

La voie une fois libre, ils sautèrent du train sur le ballast, les uns après les autres. A seulement quelques centaines de mètre de la gare de triage, ils se précipitèrent vers la forêt environnante lorsqu’un intense faisceau de lumière commença à voleter autour d’eux, puis fatalement, se fixa sur Archie. Dans la foulée, une sirène assourdissante s’éleva. Des molosses mugissants sortirent de la salle des gardes, la bave aux lèvres. Heureux d’enfin se dégourdir leurs hideuses pattes, les matons pourchassèrent le jeune anglais avec un acharnement bien trop furibard pour être réglementaire.

La mort aux trousses, Archie entraîna ses poursuivants loin de Chloris & Floris. Slalomant entre les troncs et les taillis, il cherchait à les perdre dans le labyrinthe sylvestre. Traversant les ronces en serrant les dents, leur tendant les branches les plus souples, il les maintenait à quelques mètres de distance.

Plus loin Chloris et Floris, dans le vif de l’action, ne s’aperçurent pas immédiatement de l’absence de leur compagnon. Ils se dirigeaient à toutes allures dans une autre direction, débouchant très vite sur une mince clôture de barbelé. Machinalement, Floris jeta les vélos par dessus, puis relevant le fil à la main sans s’inquiéter de son sang, il fit passer Chloris par en dessous. Haletant, il empressa Archie de passer à son tour. Aucune réponse. Le silence froid de la forêt brumeuse.
- Mais tu vois bien qu’il n’est plus là ! sanglota Chloris. Il est parti, pour nous sauver …

Course-poursuite dans la jungle, profitant du léger répit que lui laissa la soudaine chute inespérée de ses deux assaillants, Archie enfourcha son vélo à roues épaisses. Malgré lui, il pédalait dans la direction de Chloris et Floris, entraînant dans son sillon les cheminots argousins. Il crut gagner du terrain sur eux, jusqu’à ce que sa course soit stoppée nette par un branchage, lancé par l’un des barbouzes. Coincé dans sa roue arrière, la branche mit fin à ses chances de fuite. Vol plané, Archie vit sa vie défilée, et puis pour lui s’en suivit une longue rêverie étoilée.

A proximité, Chloris et Floris entendirent le cri de l’anglais juste avant qu’il perde connaissance. Le bref fracas du choc de la chute fut très vite complété par les braillements satisfaits des agents de sécurité. Abattus, le couple s’éclipsa en silence, tandis que les mains graveleuses de la poulaga s’emparaient du corps du jeune sujet anglais.




chloris et floris (3)

- Cela tombien bien, je suis cyclistorien ! Je vais tout vous raconter.
- Ah bah ça alors, on a vraiment de la veine. Vous trouvez, au milieu de la pampa, tout sauvage comme ça !
- Mais justemment, c'est mon habitat naturel !
- De naissance ?
- Pas exactement. Nous commençons notre croissance comme rat de bibliothèque, et puis l'effet du bois et du papier nous donne l'addiction aux grands espaces.
- Je comprend mieux, répondit Chloris. Mais dîtes-moi, monsieur le cyclistorien, comment avez-vous réussi cette symbiose si parfaite entre le vélo et votre corps?
- Et d'ailleurs, ajouta Floris, pourquoi un vélo et pas une automobile, un tracteur, un deltaplane ou une fusée ?
- Je vois jeunes gens que tout ceci vous passionne. Eh bien, continuons de pédaler et suivez-moi, je vais tout vous raconter.
- Mes amis, commença-t-il, un cyclistorien débutant n'est plus ni moins à ses débuts que quelqu'un comme vous ou quiconque, un humain curieux et passionné d'histoires et de voyages. Comme je vous l'ai dis précédemment, il commence rat, ou hamster dans sa roue, tant il court sans cesse à la recherche de la vérité du monde mais sans jamais la trouver. On ne peut comprendre tout, enfermer dans une pièce, n'est-ce pas ? Alors aux bouts de quelques années, les anciens insèrent dans son cursus d'apprentissage une nouvelle discipline. Le vélo. D'abord en peloton d'étudiant ils suivent les cours d'un cyclistorien érudit, et puis leur volonté et l'université elle-même les pousse à l'autonomie et ils partent seul en voyage initiatique. Ils parcourent le monde, à la recherche de l'histoire mais aussi des mythes. Mais vous me direz, jeunes amis, que je n'ai pas répondu à une de vos questions. Au sujet de la symbiose homicycle. Eh bien voyez-vous, elle reste pour nous un mystère. Tout ce que nous avons constaté de commun entre tous ceux ayant vécu cette transformation, c'est l'amour pour notre compagnon cyclique. Comme vous deux, je le vois, nous avons trouvé leur âme et les savons vivants. La symbiose devient effective, mais attention heureusement reversible, quand le cyclistorien comprend que le vélo est le meilleur moyen de transport au monde. Voilà, vous savez tout.

- Je suis hermythe.
- Dites-nous en plus.
- Le concept est simple. J'erre seul à travers le monde, à la recherche de la vérité. Car voyez-vous, les phénomènes sont assez timides. L'essence des choses ne se révèle que dans les coins reculés. Je ne saurais dire si c'est l'endroit en particulier ou si c'est notre esprit humain qui a besoin de calme. Mais aujourd'hui je peux vous l'affirmer, vous et moi, nous sommes là où naissent les mythes. Précisément dans ce genre de rencontre hors du temps.
- Peut etre avez-vous raison, vieil homme. Comment vous appel t on ?

- J'aurais besoin de vous. Suivez moi.

Harmonica et animal dans un arbre

- J'ai installé ma hutte à quelques pas d'ici, il y a de ça trois pleines lunes. J'errais comme à mon habitude, à la recherche de la vérité, comme je vous disais. Et c'est à cet endroit précis, alors même que je vivais en nomade, que l'envie de m'établir m'a pris.

Toute la journée je cherchais du bois, le tresser, l'assembler et le monter. De sorte que le soir j'avais une batisse capable d'accueillir mon humble sommeil pour la nuit. Seulement, au moment de fermer l'oeil, une fois bien installé sur mon lit de feuilles, je m'aperçus que je n'étais pas seul. Un autre être partageait ma paisible clairière. Seulement il semblait vouloir en jouir d'une autre façon. Mais suivez-moi, peut etre saurez vous nous aider.

Belle clairiere. Enracinement.
Mais un animal ou un autre homme y est dejà. Il gene. Il faut apprendre a vivre avec lui en symbiose. Mais avant, il faut échanger, lui donner quelquechose ou le dérider. Harmonica et chloris et floris. Leur échange crée une nouvelle verité.

- Nous sommes à un moment charnière. L'Humanité bascule vers un nouveau destin. Vous êtes la vague de ce changement. En parcourant la Terre avec vos vélos, vous ensemencez le destin des hommes. Allez en paix, petites graines, de vos peines s'eleveront les arbres d'un nouvel âge. Et n'oubliez jamais, vous n'êtes pas seul. Nous appelons fleuve l'alliance des ruisseaux. Partez maintenant, j'ai assez parler. Au revoir Chloris & Floris, au revoir ...

Entrainé par le vieil homme, la petite troupe marchait dans le dédale d'une forêt millénaire. Tout était si fouillu que le sentier était un tunnel rond creusé dans le végétal par le passage des vivants. Ils progressaient comme une expédition souterraine, à travers de longs couloirs labyrinthiques. Sur le coté, des troncs des lianes des ronces des feuilles des tiges; et sur le sol, des racines des pierres des pousses des bauges. On entendait toutes sortes d'animaux, et surtout, l'air ici paraissait encore plus épai que la forêt elle-même. Il leur fallut sauter par dessus quelques ruisseaux, escalader des parois glissantes, traverser le territoire sacré des guêpes, se baisser sous une cathédrale de roses épineuses, s'orienter entre les mille jambes d'un banian géant. Pour finalement, au bout d'une heure peut-être, arriver dans une grande clairière ensoleillé. Devant eux, la hutte, faites de bric et de broc. Et derrière, au milieu et majestueux, un très vieux chêne.

- Allons diner dans ma hutte, suggera l'hermyte. Vous devez être affamés.

Les précédant, il retira les fagots de bois faisant office de porte de fortune. Une fois tous à l'intérieur, il les invita à s'assoir sur des souches d'arbre, tandis que les vélos allèrent d'eux-même près de la fenêtre. Chloris, éreintée, reposait avec joie un genou douloureux et lacha un soupir de soulagement. Pudiquement, elle redressa discrètement sa jupe en fleur et vit parmi ses reflets blonds bruns les griffures sinueuses laissées en souvenirs par les ronces sur ses jambes douces.

Le chat Roux

Il y avait un petit chat, très très très mignon, qui était dans la cour.
Il avait échoué ici, on ne sait comment, ni pourquoi.
En tout cas, il s’y est installé.
Il était bébé, et il avait peur de chaque bruit.
Je le caressais tous les jours, pour lui montrer mon amour.
Je le nourrissais pour lui dire que je l’aimais.
Ça a duré quelques mois,
J’étais heureuse d’avoir un compagnon qui ne parlait pas,
Qui ronronnait seulement et s’amusait avec moi.
Mais un jour, il a fallut que la voisine du dessus,
Décide pour tous que ce chat ne sera plus là,
Mais vivra avec elle et que je ne pourrai plus le revoir.
Ce chat roux, si doux et mignon, si aimant et aimé,
Devra rester pour l’éternité avec sa nouvelle maîtresse,
Qui l’aime j’en suis sûre, mais moi je ne peux plus caresser,
Ce petit chat si mignon, qui m’apaisait après des journées humaines,
Comme Dinah, ce chat, ne sera pas à moi.

Pourquoi pleurer pour un chat ? Ce n’est qu’un chat.

Les phares

Chaque jour de travail
Pendant deux ans
J'arrivais à dix onze heure
Et toujours
Il y avait ces deux beaux yeux
Rieurs et aimants
Ces deux yeux complices
Parfois endormis
Parfois encore ivres
Mais toujours tous feux allumés
Ils étaient là
Comme
Des grands phares dans ma vie
Ils m'attendaient là
Pressés de raconter des histoires
D'apprendre l'un de l'autre
Ils avaient si faim de vivre
Et jamais je n'avais assez
D'energie et de concepts
Pour réussir à les nourrir complétement
Et pourtant ils restaient là
Les yeux de Constance
Ardents et fougueux
Plein de questions et de gourmandises
Ils clamaient haut et fort
Croquer la vie
Plutot que mourrir
Du travail
Et tu as tant raison
Constance
Tout ça n'est pas si sérieux
Nous ne sommes que de passage
Dans ce monde
L'important c'est de partager nos vérités
Au présent
Je n'oublierai pas ce que nous avons créé
J'en serai le disciple
C'est pourquoi je raconte
L'ineffable
Les émotions
Sont des couleurs
Que beaucoup ne voit pas
Et pourtant
Tant de mondes invisibles se créent
Quand deux belles âmes
S'enroulent et s'attachent
L'une à l'autre
Tout ou presque
Y est aveugle
Sauf les yeux
Et le coeur
Ne les ferme jamais
Quoiqu'il arrive
Jamais
Au revoir Constance
A la vie
A la mort
Promis ?

Les Promesses de la Lune

L envolée d Alice

C'est toi qui avais raison
mon amour
Lorsqu'on est seul
à la maison
L'autre nous manque
à en mourir
On reste dans le lit
étourdi désemparé
Et on regarde notre photo
toi et moi sur le mur
On y sourit tout grand
on a l'air si heureux
Mais vas-tu revenir
dans combien d'heures
ou de jours
interminables
Oh Alice
Je ne sais même plus
si tu m'aimes
Je ne sais même plus
si tu rêves de moi
Oh Alice
je suis si fier de toi
Dès que je t'ai vu
j'ai su que tu visais l'horizon
Il y a tant de génie en toi
et d'amour aussi
Il y a tant d'envie de vivre
et d'astuce aussi
Tu déploies tout ton coeur
à ce nouveau travail
Tu t'es propulsée à la vitesse
de la lumière
dans cet univers des merveilles
Je t'imagine brillante et filante
comme une comète
dans une galaxie d'étoiles luisantes
Je t'imagine attentive et radieuse
à glisser quelques mots judicieux
pile au moment parfait
Oh Alice
quand vas-tu revenir
Tu ne peux être partout à la fois
Mais il y a une place pour toi
au chaud dans mon coeur
Une place de choix
reservée à aucune autre
Que tu ne le crois ou pas
Oh Alice
Fais leur tourner la tête
Ne t'arrête jamais de pédaler
Tu sais que l'on va toujours
aussi loin
que l'on garde l'équilibre
Oh mon amour
c'est toi qui avais raison
Nous avons bien fait
de construire notre bateau
Et maintenant
Nous sommes deux capitaines
Partenaires contre vents et marées
Et maitenant
je suis si fier
de voir ton envol
mon bel oiseau de liberté
Nous sens-tu planer
sur les courants chauds
de l'amour et de la volupté?
Nous sens-tu voguer
sur les vagues pétillantes
de l'aventure et de la prosperité?
Nous vois-tu caracoler
sur la cime des arbres
de la grande forêt de la gaieté?